TRANSCENDANCE
Prenez un crapaud. Tenez-le à plat entre les paumes de vos mains ; retournez-le sur le dos et maintenez-le ainsi quelques instants. Maintenant, retirez avec circonspection votre main du dessus, et le crapaud restera couché là, tout à fait immobile, ses pattes palmées en l’air.
Cet « experimentum mirabile » fut démontré en 1656 par un prêtre jésuite à titre d’exemple de la domination de l’homme sur le monde animal, bien qu’il illustre en fait un principe beaucoup plus fondamental : la domination par le cerveau du reste du corps. Nombre d’espèces réagissent de la même façon. Une écrevisse que l’on fait se tenir sur la tête, les pinces à terre et la queue dressée en l’air, demeure en cette position de supplication jusqu’à ce qu’on la dérange. De même, un lièvre serré la tête en bas adopte une malléabilité de cire et ses membres peuvent être disposés dans n’importe quelle posture bizarre. Le charmeur de serpents, saisissant le cobra par la nuque, le réduit à une immobilité immédiate et parfois rigide, donnant à penser que Moïse fut peut-être un meilleur biologiste que nous ne le croyons. Beaucoup de zoos mettent à profit ce principe d’immobilisation pour faire tenir tranquilles de petits mammifères et des oiseaux durant leur pesée. Dans tous les cas, la constriction paraît jouer un rôle important dans le déclenchement de la réaction, ce qui peut expliquer l’immobilité relative des bébés étroitement enveloppés dans leurs langes.
L’immobilité soudaine peut être provoquée par un haut degré de frayeur. Le psychiatre suisse Greppin parle d’une campagne pour éliminer les moineaux des jardins de son hôpital, campagne qui au bout de dix semaines se termina en attaques de paralysie massives, les oiseaux tombant comme des pierres dans les buissons, puis se figeant en des postures rigides aussitôt qu’ils voyaient un homme avec un fusil. Voilà qui ressemble de façon remarquable à l’état catatonique que la frayeur est capable de produire chez l’homme. L’explorateur David Livingstone fut un jour attaqué par un lion à Mabotsa, en Afrique du Sud, et décrivit sa réaction au moment où il fut saisi par l’épaule et griffé : « Le choc me produisit une stupeur pareille à celle qui semble être éprouvée par une souris après le premier assaut du chat. Cela provoqua un genre d’état de rêve où n’entraient aucune sensation de douleur, aucun sentiment de terreur, malgré une parfaite conscience de tout ce qui se passait. Cela ressemblait à ce que décrivent les patients sous l’influence partielle du chloroforme, qui voient toute l’opération mais ne sentent pas le bistouri. Ce singulier état n’était le résultat d’aucun processus mental. La secousse annihilait la frayeur et n’autorisait aucun sentiment d’horreur à l’aspect de la bête. » Quand le lion lâcha prise un instant, Livingstone recouvra ses esprits et parvint à s’enfuir.
On ne saurait guère douter qu’en certaines circonstances l’immobilité ne possède une haute valeur de survie. Bien des animaux échappent justement de cette manière aux prédateurs. Certains, comme le butor Botaurus stellaris, accroissent l’effet de la disposition en feuillage de leurs plumes en adoptant une pose allongée et en se balançant à l’unisson avec les roseaux qui les entourent. Lorsqu’un prédateur s’approche trop, ils s’enfuient à tire-d’aile, mais d’autres, comme le phasme, se fient si complètement à leur immobilité qu’ils peuvent être démembrés avant de faire un mouvement. Certains vertébrés utilisent le même genre de catatonie autoprovoquée en cas d’urgence.
Le crapaud camerounais Bufo superciliaris et le serpent à groin de cochon Heterodon platyrhinos imitent l’un et l’autre la mort, se retournant et se couchant sur le dos, langue pendante, lorsqu’ils sont menacés. Mais chez eux le mécanisme n’est pas encore parfaitement développé car ils commettent la comique erreur quand on les redresse ou les déplace de se remettre aussitôt sens dessus dessous. Le simulateur de mort le plus accompli de tous est à coup sûr l’opossum d’Amérique Didelphis virginiana, lequel agit selon un merveilleux processus d’actes stéréotypés. Dans le sommeil normal, il garde la bouche et les yeux fermés, ses pieds cachés ; mais en cas d’attaque, il s’effondre les yeux ouverts, couché sur le flanc, pieds visibles, griffes étreignant le sol. Le fait que l’animal est toujours pleinement éveillé a été démontré par des tests prouvant qu’il réagit à des bruits violents en tressaillant des oreilles et en retroussant les babines quand on le stimule. Il n’existe aucune différence dans la température corporelle, la consommation d’oxygène ou la chimie sanguine et les enregistrements d’EEG montrent des ondes cérébrales identiques à celles d’un animal normal, très vigilant. « Jouer à l’opossum [9] » apparaît en tant que type de comportement complet, chez les jeunes animaux isolés, à l’âge de cent vingt jours, c’est-à-dire lorsqu’ils seraient normalement sevrés et commenceraient à aller rôder tout seuls.
Ainsi, cette espèce a-t-elle développé une manière instinctive et stéréotypée de faire face à l’attaque, manière qui ne fait qu’imiter la paralysie automatique à quoi d’autres espèces doivent recourir afin d’éviter la mort. Chez toutes ces espèces, l’immobilité répond manifestement à son but en inhibant d’autres attaques de la part du prédateur, et leur donnant peut-être une chance de s’échapper ensuite relativement indemnes.
L’immobilisation peut aussi être provoquée par la désorientation. Au zoo de Fribourg, on a construit un appareil mécanique afin d’ajouter aux effets de la constriction. L’animal est étroitement attaché à l’intérieur d’un couvercle de boîte, les pieds touchant juste le sol ; on fait alors tourner le couvercle autour d’un pivot pour soulever rapidement le captif et le mettre sur le dos, où il demeure étendu sans se débattre. Le grand naturaliste français Fabre signala que l’on pouvait immobiliser la plupart des oiseaux simplement en les balançant d’arrière en avant, ou bien en leur fourrant la tête sous l’aile. Le degré de maîtrise varie avec celui de la désorientation. Les faucons ne sont point paralysés mais certainement rendus plus dociles par le capuchon, et les œillères ont la même fonction chez le cheval.
Certains oiseaux ne réagissent pas au seul fait d’être maintenus ou désorientés, mais requièrent un genre différent de stimulus. On peut les traiter comme des crapauds et les poser à plat sur le sol, le col étendu devant eux ; néanmoins, pour les faire efficacement se « congeler », il est nécessaire en général de dessiner un motif en sable, fait de longues lignes régulières, rayonnant à partir du bec. Une fois lâchés dans cette position, ils restent couchés là, les yeux fixés sur les lignes, jusqu’à ce qu’ils se remettent peu à peu, ou qu’un coup de vent les relève et les envoie prendre leur essor. Cette concentration sur un motif rythmique paraît constituer la base des techniques de « fascination » utilisées par certains reptiles. Beaucoup de zoologistes se gaussent de l’idée des serpents immobilisant leur proie par des manifestations visuelles ; cela se produit pourtant. Le serpent arboricole d’Afrique Theletornis kirtlandii possède une langue rouge vif à l’extrémité noire et fourchue qui fait saillie de plusieurs centimètres hors de la bouche de l’animal, effectuant d’extraordinaires mouvements rythmiques. Ces derniers non seulement attirent l’intérêt des petits oiseaux, mais paraissent les plonger dans un état de stupeur qui fait d’eux une proie facile. À Madagascar, deux espèces de serpents Langaha font de même avec une lamelle nasale et une crête au sommet de la tête, et à Ceylan la vipère à fossette Ancistrodon hypnale se sert de l’extrémité de sa queue afin de fasciner la proie qui passe. Ce qu’il y a de plus extraordinaire dans toutes ces manifestations, c’est que les organes utilisés par les serpents se meuvent tous de la même façon, au rythme régulier de trois battements par seconde. On sait peu de chose sur les ondes cérébrales des oiseaux et des petits mammifères, mais il pourrait s’agir de la fréquence équivalant pour eux aux ondes alpha qui se produisent dans nos cerveaux durant la méditation détendue. Les vibrations de six ou sept cycles par seconde nous rendent irritables, mais nous trouvons apaisantes celles de dix. Il s’agit là d’exemples d’immobilisation provoquée à travers la frontière entre espèces ; toutefois, il existe un exemple au moins de l’emploi mutuel de la technique par des membres de la même espèce. Chez certaines araignées, il y a une si énorme différence de taille entre les sexes que le mâle court le risque d’être pris à tort pour une proie, attaqué et dévoré par sa compagne ; aussi ne l’approche-t-il que sous la protection de rassurants signaux de sémaphore exercés par un mouvement rythmique soutenu de ses palpes.
L’immobilisation peut donc être provoquée par constriction, désorientation, frayeur, type fixe de comportement, ou stimulation rythmique. Chez l’homme, toutes ces techniques ont été employées ; mais en 1843, le médecin écossais James Braid a démontré qu’un état de transe pouvait aussi être provoqué par suggestion, et il appela le procédé hypnose, du mot grec signifiant sommeil.
Hypnose
Le processus d’hypnose animale a été nommé catatonie, catalepsie, thanatose, akinésie et inhibition de l’activité ; chez l’homme, on l’a connu sous le nom de mesmérisme, magnétisme animal, somnambulisme, rêverie et sommeil druidique. En aucun des deux cas on n’a la moindre preuve que l’hypnose ait rien à voir avec le sommeil normal ; il n’en existe pas moins un large désaccord quant à sa nature exacte.
Léon Chertok, directeur de l’Institut de psychiatrie de Paris, croit qu’il s’agit d’un quatrième état de l’organisme, que l’on peut ajouter à la veille, au sommeil et au rêve. Il est certain que l’hypnose diffère à plusieurs égards de chacun de ces trois états d’existence, mais la difficulté, c’est que, bien que l’hypnose soit tenue pour un état authentique, nul encore n’est parvenu à en donner une définition satisfaisante. Ivan Pavlov, le célèbre psychologue soviétique, estimait qu’il s’agissait d’un mécanisme de défense, similaire à maints égards au sommeil. Il le provoquait chez des chiens en retardant longtemps la présentation de nourriture après qu’eut résonné le signal que ces animaux en étaient venus à associer avec la nourriture. L’attente tendue des chiens menait souvent à des états catatoniques si profonds qu’ils ne pouvaient bouger même quand on finissait par leur apporter leur nourriture. Un médecin uruguayen, Anatol Milechnin, utilise cet indice, entre autres, pour appuyer sa théorie que l’hypnose représente une réaction affective qu’il est possible de provoquer soit par des techniques de choc, comme un brusque coup de feu, soit par des stimuli tranquillisants comme la caresse ou le chant doux. Le psychiatre britannique Stephen Black combine ces deux idées en la notion que l’hypnose pourrait constituer un réflexe conditionné tout au début de la vie. Il émet l’hypothèse que durant le développement dans l’œuf ou l’utérus, l’animal étant physiquement à l’étroit, il doit rester relativement immobile, et que dans la vie ultérieure l’immobilité forcée provoque un retour à cet état d’inaction. Il est certes vrai que la plupart des animaux, plongés dans un état de transe ou feignant la mort, adoptent effectivement une posture fœtale. Cette théorie pourrait expliquer aussi pourquoi les stimuli rythmiques provoquent l’hypnose. Le bruit et la sensation qui dominent d’un bout à l’autre la vie embryonnaire, c’est le battement rythmique continu du cœur maternel, et après la naissance, ce qui calme le plus facilement l’enfant, c’est ou bien d’être serré contre le sein gauche de sa mère, où il peut entendre le cœur, ou bien un métronome ou un berceau qui se balance à soixante-douze cycles par minute : le même rythme que le pouls. L’effet hypnotique de la musique à cadence marquée et l’état de transe de certains danseurs peut s’expliquer de la même façon [10].
Dans ce climat d’incertitude, le meilleur moyen d’examiner l’hypnose est de considérer le peu que l’on connaît sur la physiologie de cet état. Des états de type hypnoïde apparaissent chez des gens qui sont manifestement éveillés. Une personne perdue dans ses pensées peut lire page après page d’un livre sans y rien comprendre, écouter toute une conversation sans en rien entendre ; un boxeur blessé peut terminer son round sans la moindre conscience de l’avoir fait. Ce rétrécissement de l’attention est très caractéristique de l’état hypnotique. Le sommeil et le rêve peuvent tous deux être différenciés de la veille par les différences des graphiques apparaissant sur un EEG ; mais les ondes cérébrales d’une personne hypnotisée sont identiques à celles de l’état de veille. Un sujet relié à un électroencéphalographe montre, au repos les yeux fermés, exactement le même type d’ondes que lorsqu’un instant plus tard on l’hypnotise au moyen d’un mot convenu. Il semble qu’il n’y ait aucun changement non plus dans le potentiel cortical, le rythme du pouls, la résistance cutanée ou les potentiels électriques palmaires. Il existe une légère élévation de la température corporelle, provoquée par vasodilatation durant l’état de transe, et il semble qu’il y ait de légères modifications dans le voltage du champ vital. Toutefois, ces deux mensurations sont très délicates, et des modifications de ce genre peuvent aussi être enregistrées en tant que réponse à des réactions purement affectives, ce qui nous laisse donc sans aucune manifestation physiologique connue permettant de conclure à l’hypnose.
La seule façon de pouvoir déterminer si quelqu’un est hypnotisé, c’est ou bien s’il réagit à des suggestions expérimentales, ou bien s’il déclare ensuite qu’il est effectivement entré dans un état hypnotique. C’est évidemment fort peu satisfaisant, et cela laisse supposer qu’une large part du phénomène hypnotique est autodéterminé, comme le comportement adopté par un opposum effrayé. Seymour Fisher, dans une expérience ingénieuse, suggéra à des sujets profondément hypnotisés que chaque fois qu’ils entendraient le mot « psychologie » ils se grattent l’oreille droite. Après les avoir éveillés, il mit la suggestion à l’épreuve en utilisant le mot, et tous se grattèrent l’oreille avec obéissance. À ce moment, l’un des collègues de Fisher entra dans la salle et ils eurent une conversation convenue d’avance sur des sujets quotidiens où en apparence tout à fait par hasard le mot « psychologie » revenait plusieurs fois ; pourtant, les sujets n’y réagirent pas. Au bout de quelques minutes de conversation, le collègue ressortit ; Fisher revint à son cours et la prochaine fois qu’il employa le mot clé, tous eurent de nouveau la réaction suggérée. On dirait que certaines suggestions hypnotiques ne fonctionnent que parce que les sujets font ce qu’ils croient que l’on attend d’eux. Quand l’expérience eut l’air abandonnée au cours de la conversation fortuite, la suggestion cessa de la même façon.
Des résultats similaires ont été obtenus au cours d’une expérience sur la douleur où tous les sujets reçurent exactement le même stimulus, mais manifestèrent dans leur réponse une différence marquée. Ceux qui étaient le plus payés pour prendre part à l’expérience souffraient aussi la plus grande intensité de douleur, apparemment parce qu’ils avaient le sentiment qu’il était de leur devoir de souffrir davantage. On a quelque raison de croire que l’hypnose est gouvernée ainsi par des impératifs psychologiques ; néanmoins, quelle que soit la cause de l’état hypnotique, il n’existe pas le moindre doute quant à ses effets.
L’une des caractéristiques de la douleur est qu’elle provoque un accroissement de la pression sanguine. À l’université de Stanford, on compara les réactions de sujets hypnotisés, auxquels on avait déclaré qu’ils ne ressentiraient pas de douleur, avec celles de sujets non hypnotisés, à qui on avait demandé de faire semblant de ne ressentir aucune douleur. Les observateurs ne pouvaient distinguer la différence entre les deux groupes par leurs réactions ; par contre, la pression sanguine de tous ceux qui ressentaient la douleur s’éleva tandis que celle des sujets hypnotisés demeurait fixe. L’hypnotisme semble être un véritable analgésique : on l’utilise aujourd’hui comme seul anesthésique dans l’accouchement, les travaux dentaires et certains cas de grande chirurgie. Un anesthésique chimique opère en bloquant les impulsions nerveuses douloureuses avant qu’elles n’atteignent le cerveau, mais apparemment l’hypnose agit en obtenant du cerveau qu’il ne tienne pas compte de celles-ci. Dans plusieurs rapports chirurgicaux sur l’hypno-anesthésie, les patients ne manifestèrent ouvertement aucun signe de douleur ; toutefois, leur pouls et leur pression sanguine fluctuèrent de façon considérable au cours des opérations. Ils ressentaient quelque chose. On dirait que l’esprit, sous l’influence de la suggestion, exerce un considérable pouvoir sur le corps. Une part de l’explication pourrait être que bien des réactions à la douleur sont provoquées par l’anxiété et que s’il n’existe aucune inquiétude quant à la source de la douleur, nous pouvons tolérer des quantités surprenantes de malaises. Des blessures qui seraient ordinairement douloureuses échappent souvent tout à fait à la conscience dans des circonstances importantes où notre attention est fixée ailleurs. Après coup, nous remarquons la meurtrissure et nous demandons d’où elle provient.
Il semble qu’il n’existe presque aucune limite à ce que nous pouvons faire faire à notre corps si nous y appliquons notre esprit. À des sujets sous hypnose, Stephen Black donna la suggestion précise qu’ils seraient dans l’incapacité d’entendre un son d’une fréquence de 575 cycles par seconde ; or, dans le test qui suivit, ils ne manifestèrent aucune réaction physiologique de tressaillement lorsque le son fut soudain émis très fort. Ils ne purent pas non plus sentir la vibration d’un diapason de la même fréquence placé contre l’os de leur cheville. On a fait plusieurs tentatives pour provoquer par suggestion la cécité aux couleurs ou même la cécité complète, et chez un sujet on constata que le cerveau ne réagissait plus normalement à une lumière vive. Il s’agit là d’un genre d’hallucination négative – ne pas voir quelque chose qui se trouve présent –, mais l’hallucination positive de couleurs brillantes s’est aussi produite, y compris les images résiduelles dans les couleurs complémentaires habituelles.
De toutes les maladies de peau, ce sont les verrues qui paraissent le plus étroitement associées à des facteurs psychologiques. Les « charmeurs » de verrues exercent leur métier, avec succès semble-t-il, dans la plupart des pays du monde ; il n’est donc pas surprenant de constater que l’hypnose fonctionne aussi bien. Au cours d’une expérience bien contrôlée, quatorze sujets affligés sur tout le corps de verrues tenaces reçurent la suggestion que celles d’un seul côté du corps allaient disparaître. Elles le firent en cinq semaines. Les allergies ont l’air pareillement sensibles à la suggestion. Une expérience élégante a été faite au Japon sur des sujets aux yeux bandés qu’on savait tous allergiques à un certain arbre. Quand on leur posa sur le bras gauche des feuilles de châtaignier en leur disant qu’elles provenaient de l’arbre à l’allergie, ils eurent tous la dermite habituelle ; mais quand les feuilles véritables furent posées sur leur bras droit, et déclarées inoffensives, aucune réaction n’eut lieu. Toute réaction d’allergie est provoquée par une substance étrangère, telle que du pollen, qui pénètre dans le corps et se combine avec une protéine afin de former un anticorps spécifique, lequel produit parfois des effets secondaires fâcheux, ou réactions d’allergie. Il s’agit d’une réaction biochimique assez directe, qui n’a rien à voir en apparence avec le cerveau ; cependant, on dispose actuellement d’une quantité d’indices montrant de façon certaine que tout le processus est gouverné par des facteurs mentaux. Le test classique pour déceler la tuberculose, une infection bactérienne, est la cuti-réaction de Mantoux, qui produit sur la peau des marques rouges d’allergie si le patient a dans le sang des anticorps de tuberculose ; on a démontré cependant qu’une suggestion hypnotique de non-réaction pouvait produire une réaction négative au test, même chez une personne atteinte de tuberculose. Voilà qui prouve bien l’influence des états émotifs sur la maladie de langueur de longue date associée à la dépression et aux amoureux non payés de retour, « errant pâles et solitaires ».
D’autres mécanismes physiologiques sont également accessibles à la suggestion. En profonde hypnose, même le réflexe tendineux qui fait sauter la jambe frappée au genou peut être éliminé. Le cœur peut être accéléré ou ralenti et la quantité de sang circulant dans n’importe quel membre accrue. Les myopes peuvent être amenés à modifier la forme de leurs globes oculaires, afin d’améliorer leur vision à distance sur de courtes périodes. Et peut-être le plus impressionnant de tout : les contractions de l’estomac dues à la grande faim peuvent être entièrement éliminées sans rien de plus que la suggestion qu’on fait un abondant repas.
Beaucoup de ces travaux ont été violemment critiqués, leur adversaire le plus convaincant étant Théodore Barber, qui abomine tout ce qui touche à l’hypnose. En certains cas, la critique est justifiée – les effets répertoriés pourraient parfaitement n’avoir pas été provoqués par l’hypnose ; mais la discussion est assez vaine et finit par dissimuler quelque chose de fort important : qu’il soit provoqué par ce que l’on nomme « hypnose » ou par ce que d’autres préfèrent considérer comme de la simple « suggestion », le fait subsiste que toutes ces fonctions corporelles, normalement gouvernées par le système nerveux autonome et sur quoi nous n’avons point de prise consciente, sont accessibles à des influences extérieures. Quel que puisse être le processus, il présente une énorme signification biologique et nous fournit notre premier contact direct avec l’insaisissable inconscient.
Autosuggestion
« Je pouvais distinguer nettement sa face impassible et ses yeux largement ouverts qui semblaient contempler fixement un point situé quelque part, haut, dans l’espace vide. Le lama ne courait point. Il paraissait s’enlever de terre à chacun de ses pas et avancer par bonds, comme s’il avait été doué de l’élasticité d’une balle. »
Alexandra David-Neel : Mystiques et magiciens du Tibet, Plon, 1929.
Le problème entier de la conscience est plein de chausse-trapes, dont beaucoup sont purement sémantiques et fort éloignées d’une solution satisfaisante ; mais pour nos objectifs, il suffit de déclarer que l’homme a quelque chose que n’a pas l’amibe. Nous possédons une individualité qui paraît fondée sur notre expérience. Le cerveau d’un nouveau-né constitue en effet une page blanche, qui rapidement se couvre des enregistrements des expériences qui ont été utiles à l’enfant. Au début, l’enfant dépend complètement des autres et son plus urgent besoin consiste donc à obtenir de ceux-ci qu’ils fassent ce qu’il veut. Dès le tout début, il se met à construire un système de communication basé sur l’information qu’il recueille lentement. Elle est emmagasinée en ce qui équivaut à un modèle théorique du monde tel que l’enfant le voit. Notre cerveau continue à bâtir cette structure durant notre vie entière, la modifiant et y ajoutant suivant la nécessité, mais comparant toujours l’apport des événements quotidiens avec l’enregistrement de l’expérience passée d’événements du même ordre. Au plus haut niveau, le cerveau fait appel à l’information emmagasinée afin de prononcer des jugements sur les choses, même en l’absence des stimuli normaux : il est capable de « penser » par lui-même.
Cette faculté constitue en gros ce que l’on entend par conscience. Nous savons que nous la possédons et nous pouvons la reconnaître chez beaucoup d’autres mammifères et oiseaux qui semblent nous répondre ou se répondre entre eux de la même façon. Nous avons des raisons de douter de son existence chez les reptiles, les amphibies et les poissons, et les discussions se succèdent sans arrêt quant à la possibilité de la conscience, peut-être un genre de version collective, chez les insectes sociaux. Peu de gens croient que les vers et les méduses possèdent une conscience et l’on aurait peine à trouver quelqu’un pour croire à celles des éponges ou des algues marines conscientes. Il est très malaisé de savoir où tirer la ligne de démarcation et tout à fait inutile même d’essayer ; la seule chose dont nous ayons besoin, c’est de reconnaître que plus on remonte par la pensée la lignée de l’évolution, plus la possibilité qu’existe une conscience devient improbable. La conscience est un phénomène relativement nouveau et qui trouve son apogée dans les organismes les plus avancés.
Les processus que nous reconnaissons comme conscients sont gouvernés presque entièrement par le système nerveux central – cerveau en moelle épinière – lesquels, eux aussi, constituent des acquisitions relativement neuves. Aussi le reste du réseau nerveux, le système autonome innervant l’intestin, les vaisseaux sanguins et les glandes, doit-il être plus primitif. Ce dernier système gouverne les processus que nous appelons inconscients ; son origine semble remonter fort loin dans l’histoire organique. Remontant jusqu’à un temps qui précédait le développement de toute espèce de système nerveux, le protoplasme, primitif doit avoir été confronté à un problème majeur : celui de se maintenir intact dans sa lutte contre la désintégration provenant de l’extérieur. À cet effet, il fallait du moins qu’il fût apte à distinguer le « moi » du « non-moi » ; il fallait qu’il fût apte à reconnaître la matière extérieure et à la rejeter si nécessaire. Les réactions d’immunisation et d’allergie ne font rien d’autre en reconnaissant la forme des substances insalubres et le fait que ces réactions répondent à la suggestion inconsciente pourrait signifier que l’inconscient constitue un processus commun à toute vie, quelque simple qu’elle puisse être.
Voilà qui pourrait mener loin pour expliquer des types de comportement et de réaction qui nous semblent aujourd’hui surnaturels.
La découverte de la forme en double hélice de la molécule d’ADN a mis en vedette l’importance de la forme à un niveau moléculaire. Nous savons maintenant qu’un enzyme dépend presque entièrement de sa forme et que la faculté que possède un organisme de reconnaître un antigène repose uniquement sur la forme du corps étranger. Même le sens de l’odorat dépend de la forme : les molécules rondes ont une odeur de camphre, les disques, un parfum de fleurs, et les triangles sentent la menthe poivrée. Ainsi, la faculté de distinguer entre des odeurs en apparence similaires peut-elle probablement s’expliquer de façon très simple par le fait qu’elles possèdent des formes très distinctes, et que les distinguer est quelque chose que même un globule sanguin est à même de faire. Voilà qui fait paraître beaucoup moins bizarres les réactions d’animaux comme les guêpes parasites.
La grande espèce américaine Megarhyssa lunator court de haut en bas des troncs d’arbres jusqu’à ce qu’elle ait localisé la larve de sirex cachée à près de huit centimètres au-dessous de l’écorce. Elle y parvient en partie au moyen de cellules « auditives » situées dans chacune de ses pattes et capables de percevoir le bruit de mastication de la larve ; mais la larve observe un silence de mort dès qu’elle entend un mouvement sur l’écorce. Ce qui n’empêche par les guêpes non seulement de localiser la larve avec précision, mais de distinguer à l’odeur, à travers huit centimètres de bois, s’il s’agit bien de la bonne espèce de larve et si quelque autre guêpe a déjà pondu ses œufs sur elle. Cette réaction très complexe à un stimuli infime est rendue possible grâce aux recours à une ancienne et essentiellement simple aptitude à reconnaître la forme.
La faculté qu’ont les saumons de retourner, à travers des milliers de kilomètres d’océan, aux mêmes fleuves et rivières où ils sont éclos, on l’a maintenant démontré, est due à la sensibilité à l’odeur de cette masse d’eau, en tant que distincte de toutes les autres. Les anguilles sont capables de reconnaître un dé à coudre d’essence de rose dilué dans un lac d’une superficie de plus de vingt mille kilomètres carrés. Les papillons de nuit mâles peuvent détecter la présence d’une femelle de leur espèce jusqu’à près de cinquante kilomètres de distance, grâce à la présence d’une seule molécule de son odeur spécifique dans l’air. Ce genre de sensibilité nous est complètement étranger, à nous qui ne possédons qu’un si pauvre odorat ; nous pouvons cependant nous faire une idée des conséquences à partir d’un nouveau nez mécanique inventé par Andrew Dravniek, de Chicago, Ce nez est capable de détecter les traces d’odeur laissées quelques heures auparavant dans une pièce par un cambrioleur et de les comparer à des échantillons provenant de suspects. Les gens liés par le sang ayant des odeurs similaires, ce nez peut également servir à aider l’analyse du groupe sanguin pour prouver la paternité, et comme l’invasion d’organismes pathologiques produit des modifications dans l’équilibre chimique du corps, il peut détecter la maladie longtemps avant que les symptômes ne deviennent apparents. La machine accomplit ces fonctions grâce au procédé purement mécanique de comparaison de propriétés chimiques qui dépendent de formes physiques. L’homme qui se sert de la machine doit prendre des décisions fondées sur l’information qu’elle lui donne ; il est l’esprit conscient dirigeant le mécanisme inconscient. Dans ce cas, l’être humain se trouve complété par une machine ; mais il s’agit d’un modèle valable du genre de relation dont nous jouissons avec notre propre inconscient. Nous commençons maintenant seulement à peine à comprendre l’importance de l’influence directe que l’un a sur l’autre.
À l’école de médecine de Harvard, David Shapiro vient d’achever une expérience où il entraîna un certain nombre d’élèves mâles à modifier leur propre pression sanguine. Ils étaient reliés à un manomètre sensible et chaque fois que la pression manifestait une chute momentanée, les sujets en étaient récompensés en se voyant montrer un agrandissement de pin-up nue, provenant des pages centrales du magazine Playboy. Ils n’avaient aucune idée du sujet de l’expérience ; pourtant, le fait que leur attention consciente se trouvât sollicitée en même temps que se déroulait un processus inconscient forgeait un lien entre les deux et rendait possible aux sujets de gouverner à volonté les fluctuations ordinairement fortuites de la pression sanguine. Dans une autre expérience similaire, on enseigna ce même talent bien utile à des hommes d’affaires dont la pression sanguine était dangereusement élevée.
On sait depuis longtemps que les individus doués d’une vive imagination visuelle ont peu de rythmes alpha dans leurs ondes cérébrales, tandis que les non-visualistes, qui préfèrent verbaliser les choses, ont une activité alpha persistante. Ces rythmes caractéristiques sont en partie héréditaires, semble-t-il, mais dépendent aussi de facteurs et d’expériences dus à l’environnement. Les jumeaux identiques débutent dans la vie avec des enregistrements d’EEG identiques ; néanmoins, ces derniers diffèrent plus tard, manifestant des variations caractérielles mêmes légères, qui ne seraient normalement perceptibles qu’à des amis intimes. Chez la plupart des gens, les rythmes alpha apparaissent le mieux quand les yeux sont fermés, que la personne se trouve détendue et ne pense à rien de particulier. S’ils persistent fortement lorsque les yeux sont ouverts, c’est en général un signe de maladie mentale, du genre qui produit l’isolation de la réalité. Une aussi complète dissociation peut se révéler nuisible, mais l’alpha est si détendant qu’il exerce une précieuse fonction biologique et serait utile si nous étions capables de le provoquer à volonté. On est en train de mettre sur le marché, justement à cet effet, une machine peu coûteuse. Cet « alphaphone » est un instrument simple qui contrôle les ondes cérébrales et, en allumant une ampoule ou déclenchant une sonnerie, fait connaître à l’utilisateur le moment exact où il émet les rythmes alpha. Ce simple renfort agit de la même façon que les nus sur la pression sanguine et, au bout de quelques heures d’utilisation, n’importe qui peut apprendre à exercer un contrôle conscient sur l’alpha et à le produire sur demande – un genre de version instantanée des techniques de méditation dont l’apprentissage requiert normalement des années de pratique et d’abnégation.
Au Boston City Hospital, on est en train d’enquêter sur la physiologie de la méditation véritable auprès d’un certain nombre d’adeptes expérimentés des techniques transcendantes du Maharishi Mahesh Yogi. Tous manifestent un accroissement aigu du rythme alpha, une diminution du taux respiratoire, de la consommation d’oxygène, du rythme cardiaque et de la pression sanguine, ainsi qu’une augmentation de la résistance électrique de la peau. Il se produit en outre une chute spectaculaire du taux de lactate dans le sang, laquelle persiste quelque temps après la fin de la méditation. Les taux élevés de lactate sont associés au stress ; aussi, l’effet global des modifications autoprovoquées est-il un brusque et significatif relâchement de la tension. Ceux qui pratiquent ces techniques rapportent qu’ils découvrent en elles un substitut efficace et souvent préférable aux expériences provoquées par la drogue.
Au Japon, des travaux d’un grand intérêt ont été faits sur les phénomènes qui se produisent pendant la contemplation Zen. Les moines provoquent une cessation des activités sensorielles en demeurant durant de longues périodes assis dans la « position du lotus », les yeux larges ouverts et fixés sur un objet quelconque. Au début, il n’y a pas d’activité alpha ; mais bientôt, les rythmes alpha font leur apparition et deviennent très puissants, se diffusant sur tout le cuir chevelu. Chez les maîtres du Zen, les ondes peuvent persister une demi-heure ou davantage sans modification. Chez les gens ordinaires, il est rare que l’alpha dure plus d’une ou deux minutes. Un travail similaire, effectué sur la méditation yogi que, montre qu’il existe une activité alpha prolongée ; toutefois, dans l’observation pratiquée d’une secte bengalie, l’alpha s’interrompait quand les adeptes entraient dans l’état d’extase qu’ils appellent « samadhi [11] ».
La maîtrise consciente de fonctions involontaires est courante dans le yoga, le Zen et certains cultes d’Afrique. Le rythme du pouls, la respiration, la digestion, la fonction sexuelle, le métabolisme et l’activité rénale, tout cela peut être influencé par la volonté, à volonté. Au bout d’années passées à perfectionner ce qui équivaut à un système de réflexes conditionnés, les praticiens expérimentés peuvent ralentir presque au point zéro les battements du cœur, abaisser la température corporelle à ce qui normalement serait mortel, et réduire la respiration à un simple souffle toutes les quelques minutes. En cet état, l’organisme entier se trouve réduit à une condition similaire à celle d’un animal en hibernation et peut être enterré vivant pendant des jours, sans effets nuisibles. Les réflexes qui normalement nous font reculer devant la douleur intense peuvent être écartés de façon que l’on puisse enfoncer des clous à travers les membres et des pointes à travers les joues ou la langue. En même temps, le système nerveux sympathique peut être localement inhibé ou stimulé de façon que l’hémorragie soit empêchée ou favorisée. Les pupilles, qui normalement réagissent à la lumière et à l’émotion, peuvent de même être maîtrisées. Aucun de ces talents n’a quoi que ce soit de surnaturel ; beaucoup d’entre eux ont été objectivement étudiés et imités en laboratoire. Pour parvenir à la maîtrise de ces pratiques il faut du temps et de la pratique ; néanmoins, des physiologistes sont parvenus à réaliser des choses aussi peu vraisemblables que de faire dresser leurs cheveux sur leur tête ou d’obtenir de leur pancréas qu’il sécrète plus que la quantité normale d’insuline.
Certains de ces talents sont cultivés comme un simple moyen de vivre, mais dans nombre de cas ils ne constituent que des sous-produits du processus d’autoréalisation. En des régions du monde où la vie est difficile, ils peuvent aussi remplir des fonctions tout à fait pratiques. L’art du lunggom, au Tibet, donne la faculté de se déplacer à toute vitesse à travers certains des hauts plateaux inhospitaliers, désertiques, de ce pays. L’entraînement consiste à vivre dans l’obscurité et la retraite complètes durant trente-neuf mois d’exercices de respiration profonde. Alexandra David-Neel dit avoir vu en plein vol un moine du monastère de Tsang renommé pour son entraînement à la rapidité : « Je pouvais distinguer nettement son visage impassible, parfaitement calme, et ses yeux larges ouverts au regard fixé sur quelque invisible objet fort éloigné, situé quelque part très haut dans l’espace. L’homme ne courait pas. Il semblait se soulever du sol en procédant par bonds. Il paraissait doté de l’élasticité d’une balle et rebondissait chaque fois que ses pieds touchaient la terre. » On dit que l’un de ces marcheurs accomplis couvrit près de cinq cents kilomètres en une trentaine d’heures : entre le lever du Soleil d’un certain jour et le lendemain midi. Cela représente une moyenne d’environ seize kilomètres à l’heure, à travers toutes sortes de terrains, de jour et de nuit. À titre de comparaison, les coureurs de marathon se déplacent à une moyenne d’environ dix-neuf kilomètres à l’heure, mais seulement durant un peu plus de deux heures à la fois, sur de bonnes routes.
Une autre coutume utile tibétaine, c’est le tumo. Ce talent vise à combattre le froid et, dans un pays situé presque entièrement à plus de trois mille mètres d’altitude, c’est là un talent très respecté. Les initiés apprennent une série complexe d’exercices de respiration et de méditation et se retirent dans une région éloignée afin de s’entraîner. Chaque jour, ils se baignent dans des cours d’eau glacés et s’asseyent nus dans la neige en pensant à des feux internes. Une fois l’entraînement terminé, une épreuve est organisée par une venteuse nuit d’hiver en enveloppant le disciple dans un drap que l’on a plongé dans la rivière, par un trou dans la glace, et qu’il faut sécher complètement grâce à la seule chaleur corporelle au moins trois fois durant la nuit. Après qualification, l’adepte ne reporte plus jamais rien d’autre qu’un unique vêtement de coton, en toute saison et à n’importe quelle altitude. Plusieurs expéditions à l’Everest ont même rapporté avoir vu des ermites complètement nus qui vivaient très haut dans les neiges éternelles.
L’accent mis par les cultes spirituels et corporels, aussi bien tibétains qu’indiens, sur l’importance de la respiration ne manque pas d’intérêt. Les anciens textes sur le yoga proclament que « la vie est dans le souffle », et que le corps absorbe « la force vitale » ou « prana » à partir de l’air. La respiration profonde, bien sûr, provoque l’hyperventilation et peut produire l’hallucination et jusqu’à l’inconscience ; mais ce n’est pas tout. Les biologistes qui travaillent à l’université de la république du Kazakhstan sur le procédé Kirlian ont découvert que les flamboiements de la peau brillent d’un plus vif éclat quand les poumons du sujet sont remplis d’oxygène pur – et l’effet est plus impressionnant encore avec de l’air ionisé. Il semble donc qu’un surplus d’électrons provenant de l’oxygène fournisse effectivement un combustible à l’énergie du champ vital.
S’il est possible d’exercer un pouvoir conscient sur des processus inconscients, l’inverse est aussi forcé de se produire et, en fait, il se manifeste dans tous les troubles psychosomatiques qui nous entourent. Au moins la moitié de toutes les maladies du genre humain peuvent être diagnostiquées comme ayant dans l’esprit leur origine. Les guérisseurs traitent toujours toutes les maladies par des cures de magie aussi bien que d’herbes et leur taux de réussite pour les affections de la peau, les désordres de la pression sanguine, l’ulcère gastrique, la naissance des thromboses coronaires et la cécité hystérique est aussi élevé sinon plus que celui des médecins de Harley Street, spécialement formés et magnifiquement équipés. Même les blessures « accidentelles », comme fractures des membres, peuvent être souvent attribuées à des causes psychologiques. Des recherches récentes montrent que les déclarations « c’est arrivé par accident » et « c’est arrivé par hasard » ne sont pas synonymes et que certaines personnes, à certains moments, sont véritablement enclines aux accidents. On peut même déceler chez certains individus des traits de caractère, des états psychologiques et même des dispositions physiologiques spéciaux indiquant que le sujet « est à la recherche d’un lieu propice pour l’accident ».
Portée à ses limites, l’autosuggestion peut aller jusqu’à tuer. Chaque année, des milliers de gens meurent uniquement parce qu’ils croient la chose inévitable. Il se peut que la sorcellerie ait des pouvoirs véritablement surnaturels ; pourtant, elle n’en a pas besoin alors que les gens sont capables de s’adresser à eux-mêmes des souhaits de mort efficaces. Il n’est pas même nécessaire de croire de façon consciente aux forces du mal ; l’inconscient peut très bien se débrouiller tout seul. Il y a des descriptions vivantes et pittoresques de personnes par ailleurs raisonnables, à New York et à Londres, qui s’étiolent quand on leur dit que quelqu’un malmenait une poupée construite à leur image – et de ces mêmes personnes effectuant des guérisons rapides et complètes lorsqu’elles savaient, ou même croyaient, que la poupée avait été détruite.
Sorciers et guérisseurs comptent souvent sur des réactions de masse pour faire agir leur magie, du fait que, si un grand nombre de gens sont en cause, le contact social facilite le processus par suggestion mutuelle. Tous les fermiers savent qu’un cochon solitaire ne devient jamais gras et que plusieurs cochons réunis mangent chacun beaucoup plus qu’il ne le ferait seul. Il en va de même pour de nombreux aspects du comportement. La tension affective d’une séance de magie, d’une réunion politique ou d’une assemblée de prédication religieuse ne tarde pas à se communiquer à toutes les personnes présentes et permet à un meneur d’avancer des idées qu’individuellement et dans des conditions normales peu de membres de l’auditoire admettraient. On a beaucoup écrit sur l’ « hypnotisme de masse » et la faculté de certaines personnes de provoquer des épidémies de crises nerveuses ou des hallucinations collectives. Bien qu’il soit tout à fait possible d’hypnotiser simultanément un petit groupe de sujets suggestibles sélectionnés avec soin, seule environ une personne sur vingt tombe dans cette catégorie et il n’y a que des chances infimes qu’une foule soit composée entièrement de telles gens. Aussi n’y a-t-il jamais eu de démonstration authentifiée du tour de la corde indienne en public. Le fait n’en subsiste pas moins que, dans la frénésie contagieuse qui peut être facilement provoquée dans une foule nombreuse, les barrières de la raison et du libre arbitre conscient sont levées et des idées simples se répandent rapidement et prennent racine où qu’elles tombent. Une activité contagieuse de ce genre est non moins commune chez d’autres espèces. L’adoption d’une posture rituelle par un oiseau dans une colonie dense de mouettes se propage souvent en ondes à travers la région tout entière. Si un seul pingouin sur une plage élève le bec, se roidit en un « comportement d’extase » et lance le cri de ralliement de son espèce, toute la masse fourmillante d’un bout à l’autre de la baie reprend le cri.
Dans un banc, l’espacement de chaque poisson se trouve déterminé par les tourbillons que chaque poisson crée autour de soi dans l’eau et qui sont perçus par les organes sensoriels de la ligne latérale de ses voisins immédiats. Que ces organes jouent un rôle dans la communication des intentions est certain, mais la cohésion au sein d’un banc se révèle trop bonne pour qu’il s’agisse là de la seule explication. Cela peut être que tous les groupes dynamiques de ce genre, y compris les vols tournoyants d’étourneaux et les vastes déplacements des lemmings, sont dans un état d’hystérie bénigne qui leur permet de se comporter presque à la façon d’un seul organisme. En un sens, toute communication sociale instinctive est similaire à l’hypnose en ce qu’elle dépend d’une réaction inconsciente à un stimulus particulier. Quand ce procédé de communication s’est établi, le stimulus a dû être répété avec insistance, à la façon des clignotements lumineux ou des instructions renouvelées de l’hypnotiseur, avant que la réaction conforme devînt presque automatique. L’habitude de ce genre de conditionnement pourrait expliquer la prédisposition de tous les animaux aux techniques d’immobilisation, ainsi que la sensibilité de l’homme à l’hypnose et à la suggestion.
Chez l’homme, l’inconscient est devenu beaucoup plus que la région du cerveau qui s’occupe de la vulgaire physiologie domestique. La majeure partie de toute la psychiatrie occidentale repose sur l’existence de l’ « inconscient » des freudiens ou de l’ « inconscient collectif » de Jung. Après avoir été un simple mécanisme de contrôle occupé à reconnaître les formes, il est devenu un véritable substitut aux processus conscients de pensée, doué de ses propres facultés particulières. Il est prouvé qu’une bonne part de la créativité véritable est fondée sur l’inconscient et que beaucoup d’écrivains, d’artistes et de compositeurs en obtiennent l’accès grâce à une hypnose autoprovoquée. Goethe dit qu’un grand nombre de ses meilleurs poèmes furent écrits dans un état frisant le somnambulisme. Coleridge est censé avoir composé Kubla Khan en dormant et Mozart déclarait que ses inspirations musicales naissaient à la façon de rêves, tout à fait indépendamment de sa volonté. Newton a même recouru, afin de résoudre ses plus épineux problèmes de mathématiques, au sommeil.
Rêves
Étant donné que toute vie dépend d’une manière ou d’une autre de l’énergie du Soleil, la cadence la plus influente, dans le métabolisme de chaque espèce, est le rythme circadien : l’alternance de lumière et d’obscurité. Au début, quand les formes de vie primitives étaient directement dépendantes non seulement de l’énergie mais aussi de la chaleur du Soleil, l’activité doit avoir été limitée aux heures de lumière. Ce fut certainement vrai pour tous les animaux terrestres, et encore de nos jours la plupart des espèces à sang froid deviennent inactives durant la fraîcheur nocturne, où leur température tombe presque aussi vite que celle de l’air. Oiseaux et mammifères ont acquis par rapport à ce système une indépendance vitale en commandant leur température interne en sorte que beaucoup d’entre eux puissent être actifs dans l’obscurité ; pourtant, même ces espèces émancipées continuent d’observer une pause durant une partie de chaque période de vingt-quatre heures.
Les animaux invertébrés, à la possible exception de la pieuvre et du calmar, semblent simplement devenir inactifs : ils se bornent à cesser de bouger ; mais pour la plupart des animaux à sang chaud, le sommeil constitue un processus actif. Niko Tinbergen signale que le sommeil est un véritable type instinctif de comportement car il est précédé par un comportement appétitif ou préliminaire, comme la recherche d’un lieu particulier ou le fait de s’y rendre, et sous-entend l’adoption d’une posture spéciale. Certains poissons, tels que la carpe Cyprinus carpio, reposent à plat au fond de leur étang après la tombée du jour, et le poisson-lune doré géant Mola mola flotte sur le flanc comme un disque énorme à la surface de la mer. Ils semblent dormir et peuvent même être capturés si on les approche avec précaution. Les oiseaux dorment véritablement, la plupart les yeux fermés, la tête fourrée sous une aile. Ceux qui dorment sur des perchoirs ne peuvent se permettre une détente complète et ceux qui dorment sur l’eau font souvent des mouvements continus de pagaie avec une patte, de manière à ne pas dériver à terre à portée des prédateurs. Les mammifères aquatiques ont dû se doter du même genre de réflexe, se laissant flotter de temps en temps à la surface afin de respirer. Il semble que les dauphins dorment avec d’abord un œil ouvert, puis l’autre, en changeant toutes les quelques heures. Les vaches et beaucoup d’autres ruminants dorment les deux yeux larges ouverts et continuent de ruminer inconsciemment. La disposition particulière de leur appareil digestif repose sur la gravité ; aussi doivent-ils garder en outre la tête dressée. Même des animaux tels que les éléphants et les girafes, qui passent traditionnellement pour ne jamais dormir, le font en réalité, souvent même étendus à plat sur le sol pour ce faire.
Le sommeil est donc largement répandu chez les animaux supérieurs, dont beaucoup y passent le tiers de leur existence ; toutefois, malgré sa prédominance, nous connaissons encore très peu de chose du processus. Chez l’homme, nous pouvons le décrire assez exactement comme un état où les paupières se ferment, où les pupilles deviennent très petites, où les sécrétions de suc digestif, d’urine et de salive tombent toutes de manière aiguë, où le flux d’air au sein des poumons diminue, où le cœur se ralentit, où les ondes cérébrales se modifient avec perte de conscience. Tandis que nous nous endormons, les ondes alpha disparaissent par degrés à mesure que le rythme se ralentit jusqu’aux longues et calmes ondes delta, d’un à trois cycles par seconde, caractéristiques du profond sommeil. De brefs jaillissements d’ondes plus rapides, ou « fuseaux », se mêlent en général aux ondes plus lentes.
Toutes ces dispositions peuvent être provoquées artificiellement par stimulation électrique de certaines régions du cerveau ; dans une expérience, un choc à la partie supérieure du tronc cérébral amena un chat à faire sa toilette, à se mettre en boule et à s’installer pour dormir. Cependant, la plupart des indices montrent le fait qu’il y a dans le cerveau des régions d’ « éveil », et que c’est quand ces dernières cessent d’être stimulées que nous avons sommeil. La région principalement responsable de notre maintien en état de veille est la formation réticulée, un genre de chef de gouvernement situé à la base du cerveau pour activer tout le système nerveux central. Certains anesthésiques chimiques inhibent cette zone et provoquent le sommeil aussi longtemps que dure l’effet de la drogue ; mais toute interférence mécanique avec le système réticulé d’activation abolit complètement l’état de veille, entraînant le coma prolongé puis la mort. La conscience est perdue au cours du sommeil, mais ne revient pas toujours avec le réveil. Des animaux dont le cortex entier du cerveau a été enlevé continuent à dormir, à se réveiller, à se mouvoir ici et là, mangeant et excrétant ; néanmoins, sans la vitale matière grise ils ne peuvent jamais apprendre ni manifester aucune des perceptions de la véritable conscience. Les somnambules sont moins endormis qu’inconscients. Ils vont et viennent les yeux ouverts, exécutant des actions très complexes avant de finir par se recoucher, mais le lendemain matin ne se rappellent rien de tout cela. Il est fort possible que les redoutés « zombis » des Caraïbes, qui passent pour être sortis du tombeau, soient des gens aux régions corticales congénitalement ou bien accidentellement endommagées, ou des gens dont le cerveau a été affecté par des drogues de telle sorte qu’ils ont l’air de morts qui marchent éveillés mais toujours inconscients.
Il est très malaisé de maintenir une personne normale éveillée au cours de périodes prolongées ; beaucoup d’expériences n’en ont pas moins été faites pour étudier l’effet de la privation de sommeil. Après plusieurs jours sans dormir, la saisie manuelle demeure aussi forte que jamais, aussi l’action musculaire n’a-t-elle pas été lésée. Les sujets peuvent résoudre encore de complexes problèmes d’arithmétique, aussi les activités conscientes du cerveau n’ont-elles pas été affectées ; les sujets peuvent réagir encore immédiatement à un jet de lumière en appuyant sur un bouton de sonnerie, aussi le temps de réaction n’est-il apparemment pas prolongé. Pourtant, les personnes privées de sommeil ne peuvent soutenir de longues périodes de concentration ; elles commettent nombre d’erreurs et doivent revenir sans cesse en arrière afin de les corriger. Après de plus longues périodes sans sommeil, ces petites chutes dans une inconscience momentanée se développent jusqu’à ce que les sujets commencent à voir des choses qui n’existent pas : ils se mettent à rêver les yeux grands ouverts.
Le rêve proprement dit se produit durant le sommeil, bien qu’il ne soit pas une simple partie du sommeil ordinaire. Plusieurs fois pendant la nuit, le sommeil orthodoxe alterne avec des périodes d’un genre de sommeil fort différent, presque paradoxal. C’est au cours de ces moments-là qu’ont lieu les rêves. Dans le sommeil orthodoxe, le cerveau émet de grandes ondes lentes de rythme delta, les yeux sont immobiles et le cœur bat de façon régulière ; toutefois, certains des muscles, en particulier ceux de la gorge, restent contractés. Dans le sommeil paradoxal, le cerveau émet des ondes, plus rapides, presque pareilles à celles de l’état de la veille, les yeux se meuvent rapidement d’arrière en avant, et les battements du cœur se font irréguliers ; pourtant, malgré tout ce déploiement d’activité mentale, les muscles du corps, y compris ceux de la gorge, sont plus détendus et le dormeur est beaucoup plus difficile à réveiller. Le relâchement des muscles atteint presque à la paralysie, au point d’éliminer les tressaillements réflexes ; aussi les cauchemars où nous luttons pour nous échapper mais sommes dans l’incapacité de bouger sont-ils un reflet exact de notre condition physique.
Quand nous nous endormons le soir, la plupart d’entre nous commencent par la variété orthodoxe et ne passent au sommeil paradoxal qu’au bout d’environ deux heures. Si un expérimentateur contrôle un sujet de façon constante et le réveille à chaque fois qu’il commence à exécuter de rapides mouvements oculaires, il se constitue un état de privation et le sujet tend à commencer d’emblée par le sommeil paradoxal, comme s’il était résolu à compenser le déficit. Il semble que les deux genres de sommeil soient d’importance égale, mais pour des raisons différentes.
Nous avons tendance à considérer les corps comme des structures d’une permanence relative ; pourtant, les cellules individuelles ont une existence très courte et sont continuellement remplacées, non seulement sur la peau et à la paroi interne des intestins, où elles sont emportées par friction, mais jusque dans les os. Des amis ont beau vous paraître inchangés après de longues absences, s’il s’est écoulé plusieurs années, il n’y aura pas une seule cellule présente qui se trouvait là lors de votre dernière rencontre. La régénération, le remplacement dépendent de la synthèse de nouvelles protéines, synthèse dont la majeure partie semble avoir lieu durant le sommeil. Dans le sommeil orthodoxe, il semble que ce soient les tissus corporels les plus affectés ; après d’épuisantes journées d’athlétisme, les sujets passent plus que le temps habituel en sommeil orthodoxe. Les hormones de croissance humaines sont fabriquées durant ce temps-là et le taux de la division cellulaire augmente peu après que l’on s’est endormi. Les tissus du cerveau diffèrent de ceux du reste du corps en ce qu’ils cessent de se développer à partir d’un certain âge et se concentrent principalement sur la réparation et la conservation. La majeure partie du développement cérébral se produit pendant les deux mois qui précèdent immédiatement la naissance et le mois qui la suit. Durant ce temps, le cortex de matière grise est créé et non seulement le bébé dort deux fois plus longtemps par jour que l’adulte normal, mais passe en outre proportionnellement deux fois plus de temps en sommeil paradoxal. Il semble qu’alors que le corps se trouve réparé dans le sommeil orthodoxe, ce soit pendant les autres périodes, où plus de sang afflue à la tête et où plus de chaleur s’y trouve produite, que le cerveau reçoive ces soins.
Dès qu’on eut découvert que les rapides mouvements oculaires du sommeil paradoxal étaient signe de rêve, l’idée naquit qu’il pouvait exister une correspondance entre eux et les mouvements corporels, d’une part, et le contenu du rêve, d’autre part. Les rêves actifs semblent provoquer plus de mouvement ; toutefois, il est peu vraisemblable que les yeux remuent en réalité pour contempler les images du rêve, étant donné que des aveugles de naissance manifestent exactement le même comportement dans leurs songes. Les enregistrements du rythme cardiaque et respiratoire, de la température corporelle, du pouls et du potentiel cutané montrent qu’ils varient en raison directe du contenu affectif du rêve ; il s’agit donc néanmoins d’une expérience très réelle.
L’analyse du contenu des rêves montre qu’ils ne forment pas nécessairement une histoire continue, s’écoulant en épisodes à travers toute la nuit ; ils n’en ont pas moins tendance à partir d’un sujet lié aux expériences de la veille avant de passer à des périodes antérieures de la vie. Ce phénomène a donné naissance à la théorie d’après quoi les rêves aident le sujet à assimiler les événements de la journée en en passant en revue quelques-uns et en les comparant avec l’expérience antérieure avant de classer le tout dans les banques de la mémoire. Cela concorde avec l’accumulation de la dette onirique, vraisemblablement à cause de la pression de l’expérience non triée qui s’amoncelle au sein du cortex. Il se produit de fait une forte activité électrique, pendant le sommeil paradoxal, dans la région même, juste au-dessous du cortex, que l’on croit être le siège de la mémoire.
Les symboles que l’on rencontre dans les rêves semblent représenter l’action directe de l’inconscient, censurant et façonnant des images conformément à ses propres desseins. Freud a fondé son système de psychanalyse en grande partie sur les rêves. Ses interprétations étaient parfois un peu simplistes et ne sont pas suivies de façon rigide aujourd’hui ; cependant, il semble avoir eu raison de présumer que l’inconscient n’était pas susceptible d’investigation directe et ne pouvait être étudié que de seconde main par inférence. On a parfois reproché à Freud d’avoir exagéré l’importance des pulsions sexuelles parce que son observation portait principalement sur l’état mental de jeunes femmes frustrées de la Vienne du XIXe siècle ; pourtant, cette insistance a été quelque peu justifiée par Calvin Hall dans une étude récente. Hall a dressé des listes de tous les objets oniriques pris par les psychanalystes pour symboles de l’organe sexuel mâle, et s’est trouvé à la tête de 102 symboles pour le pénis, comprenant le bâton, le fusil, la plume, la baguette, le poignard, etc. Puis Hall a parcouru le Dictionnaire d’argot de Partridge et constaté que tous ces symboles, plus quatre-vingt-dix-huit autres à quoi n’avaient jamais songé les analystes, étaient en usage depuis des centaines d’années pour décrire, en anglais grossier, le phallus.
On discute éternellement pour savoir si les animaux rêvent. Nombre d’entre eux passent en dormant par des mouvements évoquant ceux de la chasse et de l’alimentation ; mais ils ont lieu généralement durant le sommeil orthodoxe, même chez les animaux qui présentent aussi des périodes paradoxales. Bien que les chats, les chiens, les chimpanzés et les chevaux aient tous des périodes alternées des deux genres de sommeil, il ne sera sans doute jamais possible de déterminer à coup sûr s’ils rêvent en réalité dans l’un ou l’autre. Il paraît vraisemblable, néanmoins, que les deux types de sommeil exercent les mêmes fonctions reconstituantes pour ces espèces que chez l’homme.
Chez les chats, le sommeil paradoxal se produit durant la vie entière ; mais chez beaucoup d’animaux apparemment moins intelligents, on ne le rencontre que chez les individus très jeunes. Moutons et vaches manifestent les signes des deux états de sommeil avant le sevrage, quand leur cerveau se développe encore ; mais plus tard, les types paradoxaux disparaissent tout à fait. Chez des espèces comme les ratons laveurs et les singes, bien plus inventives et conscientes, on trouve de fortes indications de sommeil paradoxal, accompagné de rapide mouvement oculaire, à tous les âges. Il semble exister une corrélation directe entre ce genre de sommeil, étroitement associé au rêve, et un haut niveau de conscience. Une revue générale du règne animal montre donc une gradation dans la conscience. Aux niveaux les plus bas, les organismes sont soit actifs, soit inactifs, mais chez des espèces plus avancées, en particulier chez les oiseaux et les mammifères, la période d’inactivité assume des fonctions actives spéciales qui lui sont propres. Chez les animaux les plus complexes, elle est même divisée en deux genres différents de sommeil, associés à des processus physiologiques et psychologiques distincts. Et enfin, chez l’homme, il semble qu’il existe une étape supplémentaire, laquelle a suscité un nouveau genre de conscience.
Cette nouvelle faculté est mise en vedette par les substances chimiques provoquant des modifications dans le comportement. On peut diviser les drogues en plusieurs larges catégories fondées sur le genre de modification qu’elles produisent. Le premier groupe comprend celles qui, comme les amphétamines, la cocaïne et la caféine, stimulent le métabolisme ; en termes biologiques, on considère qu’elles ont une action semblable à celle du système réticulé du cerveau, qui produit l’état de veille. Le deuxième groupe a l’effet contraire ; il s’agit des barbituriques et des tranquillisants, qui jouent le rôle de sédatifs et sont équivalents au processus produisant l’envie de dormir ; mais l’intéressant, c’est qu’il n’en résulte qu’un sommeil orthodoxe. Au bout d’une période prolongée de prise de somnifère, les sujets manifestent des symptômes rappelant ceux qui se produisent chez des sujets privés du sommeil paradoxal et de la possibilité de rêver. Une fois supprimées ces drogues, tous éprouvent un formidable retour en force du sommeil paradoxal qui semble essayer de rattraper le temps perdu. Du sommeil à rêves a lieu sous l’influence des opiacés, héroïne et morphine, qui bien entendu provoquent aussi le délire et l’euphorie, et jouent le rôle d’anesthésiques. Biologiquement, leur action ressemble fort à l’autosuggestion ou à l’hypnose puissantes, qui produisent le même genre de dissociation et d’anesthésie. Mais au-delà de ces trois catégories, qui stimulent les états vitaux fondamentaux de la veille, du sommeil et du rêve, il existe encore un groupe de substances chimiques : les hallucinogènes.
Hallucination
Les drogues et pratiques hallucinogènes révèlent quelque chose qui semble être particulier à l’homme. Elles illuminent les franges d’une expansion de l’esprit et de l’expérience tellement vaste qu’il est malaisé d’en faire le tour. Sidney Cohen, directeur de l’Institut psychiatrique du Maryland, décrit le cerveau comme « une fabrique de symboles à régime insuffisant qui s’auto-analyse et dont la principale tâche est la direction du corps. Son activité secondaire consiste à réfléchir sur ce qu’elle est, où elle va et tout ce que cela veut dire. Ses facultés inégalées d’étonnement et de conscience de soi ne sont d’aucune nécessité pour la survivance physique ». Les aperçus que nous commençons d’avoir sur la portée du cerveau soulèvent en effet des problèmes d’évolution sans précédent. Aucun biologiste ne dirait que les activités hors programme du cerveau sont dépourvues de nécessité pour la survivance : le cerveau fait partie de nous et nous faisons autant partie de l’écologie que toutes les autres espèces. Ce que nous avons fait à notre environnement est aussi naturel que le tonnerre ou l’éclair. Nos cerveaux ont fait de nous une force prépondérante dans l’évolution et il va leur falloir une forte dose d’imagination et de créativité pour nous faire sortir de nos présents dilemmes. Je dois pourtant reconnaître avec Cohen que l’étendue du potentiel humain inspire une admiration qui ne va pas sans inquiétude ; nous paraissons avoir acquis des facultés qui dépassent de si loin nos dramatiques besoins actuels eux-mêmes que nous avons l’air trop chargés du haut. La nature fait rarement une chose sans de bonnes raisons ; elle s’est néanmoins donné la peine, durant les dix derniers millions d’années – temps fort bref, selon ses critères habituels –, de nous équiper d’un énorme cortex cérébral d’une capacité en apparence sans limite. Nous avons acquis cet organe incroyable aux dépens de plusieurs autres et nous n’en utilisons pourtant qu’une infime partie. Qu’est-ce qui pressait ? Pourquoi donc avons-nous couru si vite au long de cette ligne de développement ? Nous aurions sûrement pu nous en tirer à bien moindres frais. Pour le moment, nous ressemblons à une petite famille de squatters qui ont pris possession d’un vaste palais, mais n’éprouvent pas le besoin d’aller au-delà de leur appartement confortable et bien entretenu dans un coin du sous-sol.
Une conscience presque subliminale du reste de l’édifice nous a toujours infligé le supplice de Tantale. De brefs coups d’œil sur d’autres pièces ont mené quelques individus aventureux à faire des efforts d’exploration plus résolus ; néanmoins, les méthodes traditionnelles n’ont été qu’en partie couronnées de succès. Certains ont essayé des techniques rythmiques, telles que les psalmodies chrétiennes, les mouvements balancés de la prière hindoue ou les danses tournoyantes des derviches, afin de provoquer un état de transe qui leur permettrait de franchir la barrière. D’autres ont tenté d’altérer leur chimie corporelle par la respiration profonde, le jeûne ou le manque de sommeil. D’autres encore ont cherché la dissociation dans la douleur physique par auto-flagellation, mutilation ou pendaison au plafond. Les Indiens Sioux ont, dans leur rituel solaire, employé la chaleur et la soif pour produire un genre de grossier délire ; dans les rites de leurs temples, les Égyptiens ont essayé de l’isolement social. La seule chose qu’aient en commun toutes ces méthodes, c’est de supprimer l’habituel afflux d’information dont menace de nous inonder, l’environnement ; ou bien elles éliminent l’apport sensoriel, ou bien elles le rendent monotone et privé de signification. Cela fait, quelques-unes des portes de l’esprit s’entrebâillent.
Dans plusieurs expériences récentes, on a raffiné sur la technique des privations sensorielles. À l’université McGill, des sujets étaient enfermés dans une petite pièce insonorisée, portant des lunettes qui ne laissaient passer qu’une lumière diffuse. À Princeton, ils étaient confinés dans une minuscule cabine imperméable à la lumière ainsi qu’au bruit, à température constante. À Oklahoma et dans l’Utah, on les a immergés dans un obscur réservoir d’eau maintenue à la température du sang de manière à ne recevoir de leur environnement ni clarté, ni son, ni sensations tactiles. La réaction immédiate, dans toutes les études, fut de se retirer de cette monotonie dans le sommeil ; mais une fois que fut supprimée cette possibilité de fuite et qu’ils ne purent plus dormir davantage, les volontaires commencèrent à ressentir d’autres difficultés. Tous les sujets perdirent la notion du temps et sous-estimèrent son écoulement : certains dormirent plus de vingt-quatre heures et crurent que ce n’était qu’une heure ou deux. La désorientation, le manque de réaction de la part de l’environnement leur rendait malaisé de réfléchir sérieusement et de former des jugements normaux. Des rêves commencèrent d’apparaître plus souvent, parfois avec une effrayante intensité, et tôt ou tard la complète irréalité de la situation mena la plupart des sujets à éprouver des hallucinations. Elles n’étaient pas que de simples « fantômes » sensoriels tels qu’éclairs lumineux ou sons de cloches, mais des événements entiers, complexes et tout à fait convaincants. Ce qui paraît se produire, c’est qu’en des conditions normales la vaste quantité d’information que nous recevons est contrôlée par la formation réticulée qui la trie et ne transmet que ce dont nous avons besoin, et que nous pouvons manier à un moment déterminé. En état de privation sensorielle, il pénètre fort peu de chose ; aussi chaque petit fragment d’information reçoit-il beaucoup plus que l’habituelle quantité d’attention, et s’amplifie-t-il en des proportions énormes. Notre vision se trouve réduite ; aussi gonflons-nous ce que nous pouvons percevoir afin d’emplir la totalité de l’écran, comme un film pris au microscope. Ainsi, une partie de l’hallucination n’est-elle qu’une vue en gros plan perfectionnée de la réalité ; mais ce n’est pas tout. Laissé sans son barrage normal de stimuli, le cerveau embellit et enrichit la réalité, empruntant à son magasin d’accessoires inconscients de quoi emplir le temps et l’espace disponibles. Et pourtant, cela même ne va pas assez loin, l’hallucination présentant certaines qualités qui semblent se trouver en dehors des capacités à la fois conscientes et inconscientes du cerveau.
Presque toutes les subcultures ont une fois ou l’autre cherché à prolonger le processus de dissociation avec une racine, une herbe ou une baie. Les Perses avaient une potion nommée soma qui, d’après la chronique sanskrite, « rendait pareil à un dieu ». Hélène de Troie avait le népenthès. En Inde et en Égypte, on a toujours eu le haschisch ou marihuana. En Europe et en Asie, il y avait le beau champignon points écarlates, une amanite qui tuait les mouches, mais qui se contentait de rendre fous furieux les Norvégiens. Le Mexique jouit de la gloire du matin, le cactus peyotl, et de plusieurs « champignons divins ». Toutes ces plantes contiennent des substances chimiques produisant des états transcendants et la plupart ont servi de compléments à des cérémonies religieuses et magiques ; mais celle de toutes les substances psychédéliques qui ont le plus de puissance de dissociation ne se présente pas naturellement à l’état sauvage et doit être extraite de l’ergot, champignon qui croît sur les grains de céréales. C’est l’acide lysergique diéthylamide, ou LSD.
On a essayé le LSD sur un large éventail d’animaux, mais il semble avoir peu d’effet sur aucun d’eux, à la possible exception de l’araignée qui tisse une toile un peu fantaisiste. Le LSD semble avoir une action spécifique sur les plus hauts niveaux de la pensée, et même une infime quantité, environ un trente-millième de gramme, produit des effets profonds chez l’homme. Suivant le mode de prise, ces derniers débutent dans la demi-heure environ, atteignent leur apogée au bout d’une heure et demie, et prennent fin six ou même douze heures après. La majeure partie de l’action sur le cerveau paraît limitée au système réticulé et au système limbaire, qui module les expériences affectives. Ainsi le LSD agit-il directement sur les zones responsables du filtrage et de la comparaison de l’information sensorielle et sur celles qui déterminent les sentiments de l’individu sur ce matériel. Le langage, la faculté de marcher et la plupart des activités physiques ne sont pas le moins du monde affectés. La pression sanguine et le pouls restent normaux, les réflexes sont aigus, et nul effet secondaire désagréable n’a lieu. Il semble que le LSD n’agit dans le cerveau humain que sur la zone dont nous croyons qu’elle commande notre personnalité.
Le plus remarquable effet psychologique est, ainsi que dans la privation sensorielle, un effet de ralentissement du temps : les trotteuses de montres semblent bouger à peine. Ce genre d’« éternel présent » ressemble fort à une version prolongée de la façon dont le temps peut s’immobiliser à des moments de grand danger personnel. Nous avons dans notre propre physiologie la faculté de provoquer cet effet en cas d’urgence, et le LSD paraît le mener un stade plus avant ; pourtant, cela cesse de concerner la survie personnelle. La séparation entre moi et non-moi, le vieux repaire primitif de l’inconscient, ne tarde pas à disparaître, et les frontières de l’ego se dissolvent. Cohen dit : « La mince couche superficielle de la raison cède la place à la rêverie, l’identité se trouve submergée par d’océaniques sentiments d’unité et la vision perd les significations conventionnelles imposées à l’objet vu. »
À cet égard, il est important de nous rendre compte que nous ne percevons normalement que ce que nous pouvons concevoir. Nous faisons entrer nos sensations dans notre propre idée de la façon dont les choses devraient être. La classique expérience consistant à équiper les gens de lunettes inversant toute chose le prouve de manière concluante. Avant un jour ou deux, le cerveau apporte les corrections nécessaires au champ visuel et ces personnes voient de nouveau tout redressé de façon « juste », mais une fois retirées les lunettes, le monde entier se trouve encore une fois inversé. Ainsi le monde est-il vu non comme il est, mais comme il devrait être. Une partie du problème, c’est que nous recevons tant de sensations que nous sommes forcés de sélectionner, de choisir, et ne tardons pas à nous retrouver avec une vision soigneusement sélective et très étroite de la réalité. Le LSD possède la faculté d’ôter les œillères et de nous permettre de voir les choses à neuf, comme si c’était pour la première fois. Dans cet état, nous pouvons commencer de réapprécier les sons des couleurs, l’odeur de la musique et la texture de l’humeur. Les abeilles, les chauves-souris et le calmar des profondeurs marines, sans notre éventail de sensibilités et d’intérêts rivaux, font cela sans arrêt.
Les enfants voient communément les choses avec une énorme clarté. Il est possible que ce que nous appelons hallucinations soit une part normale de l’expérience psychique de tout enfant (leurs peintures paraissent l’indiquer) ; mais à mesure que nous prenons de l’âge, nos visions s’obscurcissent et finissent par être entièrement supprimées, car elles en arrivent à comporter une valeur sociale négative. Chaque société instaure certaines lignes de conduite, pour ce qui constitue la santé mentale et, par une combinaison de ces pressions culturelles et de nos propres besoins de soumission et de conformisme, la plupart d’entre nous finissent à l’intérieur de ces limites prescrites. Quelques-uns s’échappent, sont classés comme fous et privés de liberté sous prétexte qu’ils ont besoin que l’on s’occupe d’eux ; mais en réalité leur incarcération est bien plus destinée à protéger la société qu’à sauver d’eux-mêmes ces individus. L’Union soviétique ne se gêne pas là-dessus, et de façon régulière déclare aliénés les dissidents gênants sous prétexte qu’ils doivent être fous pour n’être pas d’accord avec l’État. Quelques individus parviennent à franchir les bornes de la santé mentale et à s’en tirer en le faisant dans le cadre d’une religion où de telles activités révolutionnaires sont admissibles parce qu’elles ont été étiquetées comme étant « d’inspiration divine ». Loin d’être emprisonnés, un grand nombre des gens qui ont connu ce genre d’expérience transcendante retournent à la société avec une vision nouvelle des choses et entreprennent de transformer leur façon de vivre et la nôtre – pas toujours pour le mieux [12].
Certains saints et prophètes ont sans doute été vraiment fous, mais il est absurde de les classer tous au nombre des insensés. Leurs expériences ne sont pas uniques. Presque tout le monde, à un moment quelconque de sa vie, connaît un instant de ravissement, de béatitude ou d’extase provoqué par un désir de beauté, d’amour, d’expérience sexuelle ou d’intuition. Ces visions momentanées de perfection et de ravissement esthétique sont les aperçus d’un état que les chrétiens connaissent sous le nom d’« amour divin », les bouddhistes Zen sous le nom de « satori », les hindous sous le nom de « moksha » et le Védanta sous le nom de « samadhi ». Les expériences de cet ordre sont si mal comprises qu’elles en sont venues à être ensevelies sous le mysticisme et considérées comme surnaturelles. Dans le sens où ils n’entrent pas dans la définition de la « santé d’esprit » de leur culture, ces états sont « insensés » ; pourtant, cela aide un peu à les comprendre d’éviter de leur coller une étiquette aussi lourde et les qualifier à la place d’états de non-santé d’esprit.
Ils n’ont rien de surnaturel et l’importance de substances chimiques telles que le LSD, c’est qu’elles le démontrent de façon très claire, tout simplement en dépouillant les couches artificielles de « santé mentale » et en nous permettant d’être de nouveau naturels. Un des effets les plus communs des substances psychédéliques, c’est qu’elles augmentent la suggestibilité et nous permettent de saisir avec une exquise sensibilité les perches tendues par l’environnement. Dans les situations de tests en laboratoire, les sujets LSD semblent souvent lire dans la pensée de l’expérimentateur ; toutefois, il est clair d’après l’analyse qu’ils ne font que réagir, à la façon de la plupart des animaux, aux plus infimes changements du ton, de l’expression faciale et de la posture. Nous sommes capables, à tout moment, de ce genre de perception subliminale, laquelle est certes surnaturelle quand on la compare à nos niveaux normaux de réaction ; mais dans le règne biologique le plus large, ces talents sont des lieux communs tout à fait naturels.
Notre habituel état « sain » de veille est un état d’inhibition. Une part de cette dernière est nécessaire afin d’empêcher la surcharge des sensations qui nous pénètrent ; néanmoins les barrières élevées par le système réticulé nous privent en même temps de mille sources de magie et d’inspiration ! C’est absurde alors que nous nous sommes maintenant dotés d’un cerveau capable pour la première fois d’apprécier ces merveilles. Je ne suis pas en train de plaider pour la dissociation de masse et une fuite mondiale en ces régions de la non-santé d’esprit. Blake, Van Gogh, Verlaine, Coleridge et Baudelaire ont tous vécu et travaillé une grande partie du temps dans un état de conscience transcendante et ont terriblement souffert dans leurs efforts pour percer en sens inverse les barrières de la raison et de la réalité. Maintenant, plus peut-être qu’à aucun autre moment de notre évolution, nous avons besoin d’être clairs et conscients des problèmes qui nous assaillent, mais nos entreprises sont sans objet tant que nous ne nous apercevons pas que nous sommes devenus maîtres de notre propre destin. Nous avons besoin de savoir où nous allons et comment nous allons y parvenir. Déjà nous avons commencé de faire usage de nos talents conscients, mais nous avons totalement négligé ceux dont nous disposons de l’autre côté de l’esprit. La nature a logé tout l’équipement nécessaire à notre tâche dans l’espace situé entre nos deux oreilles, et les techniques de l’hypnose, de l’autosuggestion, du rêve et de l’hallucination nous apportent quelque notion des pouvoirs que nous possédons. Il ne nous reste qu’à nous en servir avec sagesse.